lundi 2 novembre 2009

[Théorie] Joueur, personnage et Simulacre.

La Fiction et la Réalité, deux distinctions bien commodes qui permettent de faire la différence entre ce qui existe et ce qui n’existe pas. Au début de nombreux jeux de rôles, on retrouve souvent cet avertissement : « Prenez garde à ne pas confondre Réalité et Fiction. »

Je m’appelle Romaric Briand, ou « Sens », sur les forums de jeu de rôle. Dans « Sens Renaissance », mon jeu de rôle, je ne mets pas en garde mon lecteur. Ce n’est pas un oubli, c’est un choix de ma part. Comment expliquer ce choix ? Souhaiterais-je que mon lecteur devienne fou ? Aurais-je l’intention de faire en sorte que Réalité et Fiction se mêlent ?


Fort de mes études de philosophie, je souhaite soulever de nouvelles questions, autour du jeu de rôle, dans un jeu de rôle. Je pense notamment que cette discipline peut nous en apprendre beaucoup sur la structure du monde réel. Bref, je souhaite faire du jeu de rôle une discipline « métaphysique », une véritable exploration du Monde. « Quelle prétention ! Quel dogmatisme ! » Les réactions sur les forums ont été virulentes. Mais laissez-moi aujourd’hui vous en dire plus. Par le biais d’une série d’articles sur « petit peuple », je tacherais de vous faire découvrir un tout nouveau type de Jeu de Rôle.

Problèmes liés au rapport entre « personnage » et « joueur »Le jeu de rôle met en relation deux entités : le « joueur » et le « personnage ».
Le joueur : Vit dans le monde réel et dispose de ses propres aptitudes et connaissances.
Il dispose également d'un physique et d'un charisme déterminé.
Le Personnage : Vit dans un monde imaginaire et dispose de ses propres aptitudes et connaissances. Il dispose également d’un physique et d’un charisme déterminé.

Nous ajoutons une troisième définition.

Le simulacre : C’est la projection de la volonté d’un joueur dans un univers imaginaire.
C’est un corps d’emprunt pour un esprit provenant du monde réel. (Les termes de « personnage » et de « simulacre » sont très proches, mais ils doivent être distingués. Nous aurons l’occasion d’étudier cela en détail dans cet article.)

D'emblée, il semble que les deux entités « Joueur » et « personnage » soient différentes :
Elles ne vivent pas dans le même monde et n’ont donc pas les mêmes propriétés intellectuelles. Ces différences sont le lieu de nombreux problèmes pour le jeu de rôle.

Exemples :
1 - Mon personnage est plus intelligent que moi. Comment puis-je le jouer ? Comment puis-je me mettre à son niveau.
2 - Mon personnage est plus charismatique que moi. Comment puis-je m'imposer comme il devrait à la table.
3 - Mon personnage est moins sage que moi. Très vite le naturel revient et mon maître de jeu me dit que je suis trop "Romaric" (joueur) et pas assez "Sens" (personnage).
4 - Mon personnage est muet. Comment puis-je le jouer à une table de jeu de rôle ?

Tous ces problèmes ont des origines communes :
1. Ils sont le fruit d’une volonté de « jouer au mieux le personnage » dans l’esprit d’un véritable processus d’identification. D’où ces trois maximes : « Il faut penser comme penserait son personnage. » « Il faut agir comme agirait mon personnage. » « Il faut parler, pendant le jeu, avec le ton du personnage. »
2. De la présence de compétences mentales sur les fiches de personnage. Elles doivent en principe : « numériser le niveau d’étude du personnage. » « quantifier le niveau de raisonnement du personnage. » « Quantifier le nombre de faits du monde connus. »

Il y a peut-être d’autres origines du problème, mais cet article ne visera que ces deux origines.

Du personnage à la Caricature.
Dans le cas de l’origine 1, on constate des problèmes indépassables dus au fait que le personnage n’a pas la même expérience que le joueur. Dans l’idéal, il faudrait avoir au moins l’expérience de son personnage. C’est possible : un bilingue français/anglais peut jouer sans difficulté un personnage bilingue français/anglais.
Cette possibilité nous a fait penser que nous pouvions jouer un personnage dans une partie de jeu de rôle. Cependant, un joueur ne connaissant pas les bases des mathématiques ne pourra pas jouer un personnage sachant compter sans difficulté.
Le seul personnage que nous puissions jouer dans cette perspective de jeu est un personnage pour lequel nous avons isolé une partie de nous même. Autrement dit, tous les personnages que nous avons joués jusqu’à aujourd’hui sont des caricatures de nous-mêmes. Nous entendons par « caricature » toutes représentations isolant volontairement un trait de la personnalité d’un individu.

Imaginons le cas suivant. Michèle est une française ayant fait des études de droit. Son histoire familiale est parsemée de sombres affaires. Elle est d’une nature possessive et attentionnée. Elle aime beaucoup l’art et la beauté des corps en général. Elle aime la rigueur. Elle joue au jeu de rôle régulièrement.
Quand bien même cette joueuse choisirait un archétype de personnage totalement différent d’elle-même, un « nain classique » dans un médiéval fantastique par exemple, elle retombera dans les travers qui sont les siens. Très vite, elle s’apercevra qu’elle ne peut pas jouer au mieux les scènes de boisson à la taverne. Les autres commenceront à lui reprocher sa trop grande rigueur au nom de l’immersion ou du « role play ». Les joueurs diront « tu es trop Michèle et pas assez Thorfin ».
Elle finira par s’assagir. Le mieux qu’elle puisse faire sera d’isoler un trait de sa personnalité pour l’extrapoler au détriment des autres. Car il est impossible de s’ajouter une expérience longue d’un seul coup, alors qu’il est possible d’occulter certaine de ses connaissances.
Autrement dit, si le joueur sait A et B, son personnage ne peut pas savoir C. Il ne reste plus au joueur qu’à choisir entre A ou B car s’il choisit les deux (A et B) alors joueur sera identique au personnage, ce qui est généralement refusé dans le jeu de rôle. Le joueur décide donc de faire une caricature et d’isoler A en occultant volontairement B. C’est la seule manière pour lui de ne pas être lui-même, de faire en sorte que le personnage ne ressemble pas au joueur.
Michèle décide donc de renforcer sa rigueur au point qu’elle en devienne une maniaquerie. Elle tombe dans la caricature d’elle-même. L’immersion est là mais Thorfin est mort, il ne reste plus qu’une caricature de Michèle et, lorsque la joueuse entend parler de droit par exemple, elle fait alors mine de ne rien y comprendre.

Une autre image devrait permettre d’éclairer notre propos. Imaginons que les joueurs et les personnages soient des combinaisons de couleurs. Michèle est Bleue et Rouge, autrement dit Violet. Elle ne pourra pas faire un personnage vert, totalement différent d’elle-même. Elle ne pourra pas, non plus, faire un personnage violet ; sans quoi elle ne jouera pas de rôle, elle sera elle-même. Elle aura donc le choix de faire soit un personnage Bleu, soit un personnage Rouge. Ce personnage sera la caricature de Michèle puisqu’elle aura grossit un trait, soit le rouge, soit le bleu de sa personnalité.

On retrouve cette réalité dans les jeux de rôle. Ces caricatures sont appelées « archétypes ». Il peut s’agir soit de personnage de film que nous connaissons et qui, en quelque sorte, font partie de nos expériences (ou de nos couleurs. Nous nous en sommes inspirés pour notre style vestimentaire, notre façon de parler, etc.) ; soit de caricatures sociales. Lorsqu’on joue de tels archétypes, on tombe vite dans la simplification et dans la réduction.
De nombreux amis nous ont, plusieurs fois, dit que l’idée de « race » (nain, elfe) était dépaysante et nous apprenait des choses. Ils ajoutaient qu’ils étaient heureux de pouvoir se dépayser de cette manière. Nous affirmons, au contraire, que la notion de « race » dans le jeu de rôle est à condamner autant que dans la réalité ! Elle n’est en rien dépaysante et mène à la lassitude de nombreux joueurs. Elle n’est que l’isolement de nos propres traits, de nos propres couleurs. Nous n’apprenons rien à jouer un nain, nous nous caricaturons. Les joueurs les plus expérimentés ont souvent tendance, au contraire, « à casser les archétypes ».
Vu de cette manière, avec ses races et ses archétypes, le jeu de rôle ne peut être qu’une activité mue par le repli sur soi. C’est là que nos ennemis ont trouvé jadis nos faiblesses. On a souvent caricaturé les rôlistes comme des individus communautaristes et isolés. On en a fait des « repliés sur soi » ! Le rôliste serait-il devenu sa propre caricature ?
Si l’on veut faire du jeu de rôle une activité constructive, il est donc nécessaire d’abandonner l’idée d’archétype et tous les jeux de rôle faisant fortune sur cette idée néfaste pour notre épanouissement et notre désir de voyage.

La volonté de « bien jouer son personnage » n’est pas directement néfaste ; elle part d’une volonté noble de découvrir quelque chose de nouveau. Il nous semble avoir clairement montré que c’était impossible sur le plan intellectuel dans l’état actuel des choses. On voit donc que l’idée d’une simulation rigoureusement développée mène à l’inverse de ce qu’elle prétend provoquer. Elle semble donc contradictoire. Elle souhaite faire vivre le joueur et le personnage dans un Nouveau Monde et elle ne fait que les caricaturer, l’un comme l’autre.
Elle n’est cependant pas directement responsable de cet état de fait ! Le véritable problème est issu de la distinction entre joueur et personnage. Ce n’est pas le « bien jouer » qui pose problème, c’est le terme « personnage » de la proposition « bien jouer son personnage » qui est ici critiquable. Le problème des couleurs et de la caricature nous amène à un autre problème révélé, comme nous allons le voir, par la présence des compétences mentales sur les fiches de personnage.

Les compétences mentales et les problèmes liés.Le personnage se distingue, dans le jeu de rôle, du joueur. Tant que les rôlistes chercheront à jouer des personnages, ils échoueront et seront frustrés. Vous ne pouvez pas plus rentrer dans l’esprit de votre voisin qu’incarner un personnage dans un jeu de rôle. De même, dire que vous n’êtes pas votre personnage n’a aucun sens. La distinction entre personnage et joueur est telle qu’il est impossible de ne pas tomber sur d’innombrables problèmes. Ces problèmes nous ont été révélés par la présence de compétences mentales sur les fiches de personnage. La distinction joueur/personnage donne des aberrations dont la première marque est la présence des compétences mentales et linguistiques sur les « fiches de personnage ».

Nous attaquons donc ici l’origine 2. La présence de ces compétences a plusieurs conséquences néfastes : « L’autorité d’une autre personne (souvent le maître de jeu) sur l’esprit du personnage. Ce qui, finalement bride le joueur. » « La croyance que le joueur et le personnage n’ont pas le même esprit. »

Reprenons l’exemple de Michèle. Elle désire maintenant jouer une physicienne dans un jeu de rôle. Elle décide donc de mettre des points dans la compétence « Physique » sur sa fiche de personnage. Lorsque la physique sera au centre d’une scène, Michèle ne pourra pas directement simuler des compétences qu’elle n’a pas. Puisque Michèle n’a pas de compétence spéciale en physique, son personnage ne pourra pas être joué par Michèle. C’est alors le maître de jeu qui prendra l’autorité sur l’esprit du personnage. Michèle devra alors faire un jet de physique, si elle le réussit, le maître de jeu lui révélera des informations liées à la physique. Le maître de jeu formulera l’information de la façon suivante : « tu sais que X et tu crois que Z ». En bref, le maître de jeu prend autorité sur le personnage. Le joueur est souvent cantonné à répéter une information, donnée par le maître de jeu, tandis que tous les autres joueurs autour de la table le savent déjà. C’est le fameux « problème du perroquet » (un joueur qui répète mot pour mot ce que vient de lui dire son maître de jeu), dont beaucoup de rôlistes se sont moqués pendant les parties de jeu de rôle. Le joueur se sent nécessairement dépossédé de l’autorité sur son personnage. Si l’on pousse plus loin le raisonnement, en l’exagérant volontairement, on peut même dire que, du point de vue mental, le maître de jeu est le seul joueur, puisqu’en disant ce que ses joueurs pensent, il pense à leur place !
Les informations révélées de cette manière influenceront jusqu’aux décisions et aux actes des personnages. D’où le fait que les joueurs se sentent souvent enfermés dans un scénario, ils sentent que l’on pense à leur place et qu’ils manquent de liberté. Encore une fois, la seule liberté que trouvent les joueurs demeure dans les décisions qu’ils prennent depuis leurs propres connaissances en apportant quelque chose de véritablement nouveau dans le scénario déterminé du maître de jeu.

Voici quelques exemples de problèmes concrets dus à cette autorité du maître de jeu sur l’esprit des personnages. Cette liste permettra d’illustrer le propos.
Exemple 1 : Un joueur conteste l’autorité du maître de jeu : « non ! Je suis désolé Fred… Tu es peut-être maître de jeu, mais je peux te dire que ça ne se passe pas comme ça en physique ! Je le sais bien je suis en maîtrise de physique ! ».
Exemple 2 : Un joueur prend une décision. Le maître de jeu lui dit « non ! techniquement ton personnage ne peut pas penser comme ça. Il est chinois, pour lui c’est normal. »
Exemple 3 : « Tu as raté ton jet ? Bon. Eh bien… tu ne sais pas. » dit le maître de jeu. Mais le joueur, lui, sait ce que le maître de jeu aurait dit s’il avait réussi son jet.

Les compétences mentales sont donc à exclure des fiches de personnage, puisqu’elles entraînent une baisse de participation du joueur tandis qu’elles visent l’inverse pour le personnage. Si le joueur cesse de jouer, il n’est plus un joueur et son personnage n’est plus son personnage. Nous sommes devant un paradoxe.
Puisque les maîtres de jeu et les joueurs en ont conscience, ils ont tendance à mettre de côté ces compétences et une autre frustration naît. On entend, donc, souvent les joueurs s’exclamer : « Pourquoi mettrai-je des points dans le « charisme » puisqu’on ne fait jamais de jet dans cette compétence ?! ». On voit donc à l’issu de cette analyse que les compétences mentales doivent être rejetées.

En revanche, elles auront permis aux rôlistes de constater quelque chose : la limite entre le joueur et le personnage ne peut pas être nette. D’où la notion de « simulacre » que nous défendons et que nous allons dès à présent développer.

La distinction joueur/personnage remise en cause, vers un nouveau jeu de rôle.L’idée de « simulacre » permet de dépasser ces problèmes. Nous devons maintenant assumer que nos personnages ont notre esprit. De nombreux jeux de rôle commencent à abonder dans ce sens. En guise d’exemples, nous donnerons le jeu de rôle « Exploris » développé par Damien « Aeon » Casoni et « Sens Renaissance » donc nous sommes le développeur. On y perçoit de plus en plus les personnages comme des simulacres. Autrement dit, des corps, issus de la fiction, investis par notre volonté ou notre esprit de joueur. Les joueurs sont des marionnettistes et les personnages sont des marionnettes. Les joueurs sont, dans les corps des personnages qu’ils incarnent, comme des marins dans leurs navires, pour reprendre l’image de la relation âme/corps dans la philosophie de Descartes. Le but de ces jeux étant de faire voyager le joueur pour que lui-même en retire du plaisir ou un apprentissage.

Imaginer que l’on puisse réduire votre esprit à une somme de particules chimiques et que l’on puisse ensuite l’implanter dans un autre corps, c’est une bonne analogie de ce qui se passe dans le cas du simulacre. On implante, par la fiction, votre esprit de joueur dans le corps fictif créé pour le jeu. Lorsque vous créez votre fiche de personnage, vous créez le corps qui vous servira de vaisseau au cours du voyage. La fiche de personnage devient un vecteur de volonté vers un monde imaginaire. C’est ainsi que nous dépassons d’un seul coup, tous les problèmes énoncés ci-dessus. Les joueurs deviennent la volonté d’un corps fictif, la volonté d’un simulacre.

PS : Cet article fut initialement publié sur le e-mag Petit Peuple. Je salue mon confrère David Gos au passage et je le remercie pour m'avoir offert de bonnes discussions sur l'univers de Sens ! Merci David !

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